Scat tamoul

Mardi dernier, soit le 22 novembre, nous avons assisté à la Gaieté-Montparnasse à un SVNI… un Spectacle Vivant Non Identifié.

Non identifié mais très identifié à la fois puisque les deux co-initiateurs du spectacle sont deux grands noms, chacun dans son genre, de la musique – et pour l’un, de la danse même. Si vous ne les avez pas reconnus dans cette présentation elliptique, j’ai nommé : Didier Lockwood et Raghunat Manet, une superstar du crazy violon et un Indien francophone qui fait de la musique avec ses mains, ses pieds et sa bouche (et on s’arrêtera là, merci). D’où le SVNI. Parce que oui, c’est aussi démentiel sur scène, en vrai, qu’écrit comme ça, là.

Il faut dire qu’ils sont très talentueux l’un comme l’autre, et qu’ils étaient accompagnés par deux artistes très talentueux aussi, une chanteuse lyrique adepte des « meltranges » (ou mélanges étranges), et un percussionniste indien complètement bluffant, donc ça ne pouvait donner qu’un ensemble à la qualité à la fois évidente et délirante, qui vous scotche et vous assied pour environ une heure de voyage – un voyage vers l’Inde du sud of course puisque Manet est un expert du bharata natyam, danse emblématique de l’Inde du sud et en particulier de la région qui fut (et reste un peu) francophone de Pondichéry, et que Murugan, le percussionniste, est dravidien jusqu’au bout de ses doigts effilés. Mais un voyage vers l’Ailleurs absolu aussi, parce que le violon de Lockwood, lui, n’est pas indien – d’une modernité à effrayer la tradition, tout électrique qu’il est – et que le chant d’Aurélie Claire Prost est tout… sauf indien en fait. Et le mélange de cette indianité marquée avec cette occidentalité présente est une invitation à imaginer des pays qui n’existent pas, du genre de ceux où on invente des perles de pluie…

Pour faire bref donc : j’ai vraiment beaucoup aimé, totalement hypnotisée, parfois, par l’énergie folle du danseur Manet, quasiment en transe dans sa prestation mystique ; par la prestation hallucinante de Lockwood qui fait parler et même rire son violon (je vous jure qu’il le fait littéralement rire !) dont les sons lui sortent d’ailleurs directement du corps, au point qu’il n’arrête pas de se lever, se rasseoir, et se relever encore pour les aider à sortir ; par la grâce de la prière amoureuse de Prost ; et par l’exercice de haute voltige de Murugan, percussionniste qui mérite mieux que d’avoir son nom en tout petit sur l’affiche… Totalement hallucinée aussi par l’exercice de scat tamoul auquel se prêtent Manet, Murugan, et même Prost (qui articule le tamoul avec beaucoup de bonne volonté et une prononciation anglo-saxonne quelque peu incongrue, mais charmante), et auquel nous sommes, avec cette fois un certain espoir de la part de Manet (ou une certaine ironie qui sait ?) conviés à participer. Une prestation hallucinante dont le rythme s’accélère dans la transpiration et les clappements de mains, les frappements de pieds, et les ponctuations de sourcils du danseur indien.

Mais j’ai tout de même été un peu moins convaincue par Manet musicien – oh pas techniquement hein ! il joue de la veena magnifiquement, et d’ailleurs c’est totalement magnifique… mais il ne tient pas tout à fait la distance lorsqu’à côté de lui c’est Dider Lockwood qui joue du violon enchanté (et pas que du violon d’ailleurs…). Parce que Manet intériorise la veena lorsque Lockwood exulte du violon, et ça, pour un public, ça change la donne. Comme dit plus haut, Lockwood nous parle avec son violon, il en fait une excroissance de lui-même – comme Jimmy Bosch au trombone, tiens – une extension de sa bouche, de son cœur, de ses tripes, de son âme, comme un marionnettiste qui peut faire parler sa poupée depuis le centre de son corps. En face, la poésie de Manet reste un chouïa en-dessous. Et puis ce qui reste compliqué, toujours, c’est d’entrer dans un monde dont les codes nous sont rigoureusement inconnus (je pense à la séquence aigle versus éléphant / ah euh non dragon versus monstre… enfin bref on n’a pas bien compris) ; et même si, ici, ça ne compte pas vraiment de comprendre ou non ce qui se passe dans le rituel qui nous est offert (puisqu’il nous est demandé de laisser libre cours à notre imagination), le seul moment de traduction qui nous est donné (« Aaaaah !!!! c’est un hommage à Shivaaaaa !!!!) est très agréable, et fort bienvenu quand il se produit. Et c’est d’ailleurs là qu’en quelques mots seulement, le bharata natyam nous est expliqué – sans explication : danse mimée, illustration poétique, elle est donc la danse des dévots de Shiva, où chaque geste donne à voir une fleur, un fruit, un arbre…

Une déception pourtant : malgré tout leur talent et toute leur bonne volonté – Manet exsudant – littéralement – la joie d’être ici et de donner à voir son art, sa raison d’être -, la salle était très vide… L’horaire (19H) est peut-être en cause, car cela fait tôt pour les Parisiens, mais il serait dommage qu’un spectacle novateur et traditionnel à la fois, c’est à dire aussi artistique que culturel, ne trouve pas le public qu’il mérite. Aussi j’engage tous ceux qui le peuvent à aller voir Omkara II de toute urgence, avant que la scène parisienne ne nous propose plus que des reprises de boulevard et des one-man-shows, et n’ose plus tenter les SVNI que frileusement – ou pas du tout…

8/10… courez-y !!! (Et en plus c’est à la Gaieté-Montparnasse, charmante petite institution parisienne sise dans une rue authentique et exotique, où l’on ne compte que des bars, des restos japonais, des théâtres… et des sex-shops. Un bonheur on vous dit !!!)

A consulter : www.raghunathmanet.com et www.didierlockwood.com

 

Cet article a également été publié sur le blog www.bohemiamelie.com

Article publié le vendredi 2 décembre 2011